Le chemin parcouru
Nous sommes en 2007 lorsque VIVRE AUX ECLATS décide d’intervenir, non plus seulement en pédiatrie, mais également dans les services gériatriques, auprès de nos aînés.Ces projets suscitent à l’époque beaucoup d’interrogations, de la méfiance, parfois même de la réticence ; la présence des clownspouvant être perçue comme infantilisante, voire irrespectueuse.
Aujourd’hui, nos artistes-clowns sont présents dans 9 établissements gériatriques, où ils partent chaque semaine ou tous les 15 jours à la rencontre de centaines de personnes âgées et du personnel soignant qui les accompagne. Quel chemin parcouru !
Les clowns et les personnes âgées
Tout l’enjeu pour les comédiens de VIVRE AUX ECLATS réside dans la prise en compte des particularités de ce public âgé : leur expérience de vie unique et singulière, leurs références et exigences artistiques, mais aussi le manque de perspectives, la perte de leurs capacités physiques et cognitives, et pour certains l’apparition de troubles du comportement.
En s’adressant à l’énergie vitale, aux capacités restantes de chacun, en provoquant des situations, des actions et des jeux, les clowns permettent aux personnes âgées de mobiliser leurs capacités créatrices, poétiques, humoristiques. Pour nos artistes, la vieillesse ne se résume pas à « des pertes », ils considèrent les aînés sous le prisme de leurs possibilités, valorisent leurs expériences de vie et les incluent ainsi dans la marche du monde.
Le clown s’émerveille de tout et porte un regard toujours neuf sur les personnes qu’il rencontre. Il vit dans le présent, seul l’instant qui est en train de se jouer compte. Il met en avant ses qualités et ses défauts de la même manière, se présente tel qu’il est, sans « filtres ». Le contact avec les autres est direct et emprunte nombre de vecteurs : la parole et le rire, la musique, la chanson, le geste, le toucher, l’expression corporelle et tout ce qui peut émerger de la rencontre. Sa façon de s’adapter, de rejoindre chacun « là où il est », d’être à l’écoute, est une manière des’inviter dans « le monde » des personnes qu’il visite. C’est d’autant plus vrai lorsque l’on parle de personnes atteintes de maladies neurodégénératives, « déconnectées » de la réalité pour le sens commun. Pourtant,chez ces personnes, il n’y a pas de perte de l’intelligence émotionnelle et relationnelle, ni de la mémoire affective, et c’est cette mémoire là que les clowns vont valoriser comme une vraie compétence. Le langage clownesque, émotionnel et corporel, permet en effet de développer des relations qui ne nécessitent pas l’oralité.
Les programmes artistiques en gériatrie
Forts de ces réflexions et de nos 13 années de présence en gériatrie, nous avons développé et mis en œuvre des programmes clownesques spécifiques : des projets toujours conçus en partenariat étroit avec les équipes de soins et d’animation, des projets qui valorisent l’expérience de vie de nos aînés, leur donnent le pouvoir d’agir, de donner leur avis, de s’impliquer, de s’exprimer, de transmettre aussi.
Quatre programmes sont aujourd’hui déclinés dans les différents établissements où nous sommes présents.
Notre programme phare, celui qui existe depuis toujours, c’est Cotillons & Courtoisies : deux à quatre fois par mois, un duo de clowns joue et improvise dans les couloirs, les chambres et les espaces communs des établissements. Un programme au long court, puisque sa durée est d’une année minimum ; régularité et pérennité permettant de créer des repères forts, de nourrir une continuité et de construire des liens. En 2020, des Cotillons & Courtoisies à thème ont vu le jour, venant répondre à un besoin identifié et accompagner un moment de vie de l’établissement. Et lorsque nos Cotillons & Courtoisies prennent fin, nous proposons de fêter avec faste le départ des clowns ! C’est Traces de clowns, un bal en costumes pour se dire au revoir et prendre soin du lien tissé sur la durée avec les personnes âgées, leurs proches et le personnel. Tout le monde participe, quelque soit ses capacités, certains dansent avec leur bras, leurs yeux, les fauteuils tournoient sur la piste … un événement véritablement porteur de vie et de joie !
Autre projet né dans les services gériatriques : Créateurs et Créatures. Accompagnées par une costumière de théâtre, les personnes âgées créent un costume pour chacun des clowns et donnent ainsi naissance à différentes créatures qui seront présentées à l’occasion d’un défilé de mode ! Les tissus, les costumes éveillent souvenirs, émotions et sensations, et par là même valorisent les connaissances et compétences des personnes âgées. Participer à ce projet,c’est aussi vivre une expérience collective qui permet de se découvrir différemment, en dehors de l’acte de soin*. (*actuellement, Créateurs et Créatures se déroule à l’EHPAD la Colline de la soie)
Troisième programme pensé pour nos aînés : La Famille Roquette, feuilleton clownesque en dix épisodes qui raconte les tribulations d’une drôle de famille … de clowns ! Dans ce projet qui se veut avant tout créateur de liens, fédérateur et participatif, les personnes âgées sont invitées à réagir, à prendre part au jeu, elles peuvent infléchir le cours de l’histoire, et même, si elles le souhaitent, endosser un petit rôle !* (*actuellement, La Famille Roquette se déroule à l’EHPAD Thérèse Couderc)
Enfin, depuis quelques semaines, nous proposons une livraison de clowns à domicile ! En partenariat avec un service de soins infirmiers à domicile, les clowns imaginent un projet (re)créateur de liens en direction des personnes âgées les plus isolées. Retrouver le plaisir d’être en relation et ramener vers du collectif, tels sont les objectifs majeurs de ce projet.
Une collaboration essentielle avec les équipes soignantes
Si nos projets artistiques continuent à se développer c’est avant tout grâce au partenariat étroit et au lien de confiance tissés avec les équipes soignantes, un travail main dans la main, une conception commune d’une prise en soin globale, une complémentarité des approches aussi. Si le soignant est dans le « faire avec », le clown serait plutôt dans « l’être avec »* (*Vincent Des Portes, chef de service de neuropédiatrie de l’HFME). Ces deux regards sur l’être humain, lorsqu’ils envisagent ensemble la relation à la personne, réussissent à créer une situation où transparait quelque chose de fondamental : le respect de chacun, et de sa conception du « bien-être ».
Crédit photo : Pierre-Marie Gaury
Comments are closed.